La fête des morts au Mexique
Un soleil radieux, une température agréable. Pas trop chaude ni trop froide. Juste bien. Les notes d’une musique entraînante se font entendre quelque part au coeur de la ville et au loin, comme pour hâter le réveil des citadins, des pétards explosent en rafale, troublant le rythme de la musique. Nous sommes le matin du 1er novembre et le Mexique s’apprête à fêter ses morts…
Calavera Catrina et ses acolytes
Ce sont les ribambelles de squelettes qui sont le plus surprenantes. En pétales de fleur sur les parvis des églises et places publiques, en papier ou en carton accrochés comme de macabres fioritures, maquillés sur des mannequins de chair et d’os, ils sont partout et ornent avec une certaine forme de majesté, les troquets, marchés et devantures de magasins. Accompagnés de guirlandes aux ton ocres et d’offrandes en tout genre, ils se sont subrepticement glissés dans le paysage quotidien, occupant l’espace visuel à la manière des films d’épouvante.
Et puis, il y a elle. La très chic et superbe Catrina qui, de son charme funèbre, envoûte quiconque osant poser sur elle son regard. Créée en 1910, certains attribuent sa naissance à la plume du caricaturiste José Guadalupe Posada, qui, par des traits fins et décharnés, matérialisa la mort dans les os d’un squelette féminin habillé de riches étoffes et coiffé d’un immense chapeau de plumes. Cette caricature a transcendé les âges, reprise par tout un peuple pour en faire l’égérie sensuelle et solennelle du jour des morts. Elle est partout, belle comme un ange dont on oublierait le dessein funeste, orgueilleuse et froide comme une statue de marbre, mystérieuse et lointaine, comme la mort. Les autels ornés de chandelles, de fleurs et d’offrandes telles que des crânes en sucre multicolores, des fruits ou des petits pains de lait, rappellent l’Éden dans lequel on aimerait se jeter après avoir côtoyé d’un peu trop près la belle Catrina…
Mais cela n’intimide personne. Surtout pas les enfants qui s’amusent à revêtir des masques et des déguisements les plus sombres, effrayants et sanguinolent les uns que les autres, qui, dans un pied de nez à la beauté fatale de Catrina, caricaturent la mort dans ce qu’elle a de plus ténébreux. Tous seuls ou accompagnés de leurs parents, ils défilent dans les rues au rythme d’une musique endiablée pour s’échouer au cimetière où les morts enterrés, attendent patiemment la promesse d’une soirée enivrante qui arrachera leur âme défunte à l’humidité de la terre. C’est ainsi que le soir venu, parents et amis se retrouve assis autour de la tombe de l’être chéri et partagent avec lui son met préféré en évoquant les souvenirs heureux du temps où il était en vie. Et les rires, encouragés par les vapeurs de l’alcool, emplissent les allées des cimetières et se mêlent à la musique toujours aussi vive et effrénée pour former l’accord parfait, l’unisson magnifié par la lumière tamisée des chandelles partout allumées. Jamais cimetières n’auront été aussi gais, et vivants et morts aussi proches…
Des origines multiples
Mélangeant d’anciens rites païens à la culture catholique jésuite apportée par les colons espagnols, la fête des morts au Mexique (Dia de muertos) est assurément un incontournable de cette culture aux multiples facettes. Avant l’arrivée des colons espagnols, les Aztèques célébraient déjà leur morts en deux fêtes majeures: Miccaihuitontli pour les enfants et Hueymiccalhuitl pour les adultes. Miccaihuitontli était fêté vingt jours avant Hueymiccalhuitl, au mois d’août et coïncidait avec le début de la récolte du xócotl, un arbre dont on retirait l’écorce et qu’on décorait de fleurs durant vingt jours. Les Aztèques y déposaient également des offrandes en l’honneur des disparus et de la déesse Mictecacihuatl, dame de la mort. La colonisation espagnole, apportant avec elle la Toussaint, déplaça ces célébrations aux 1er et 2 novembre. Dans la tradition chrétienne, selon l’institut national d’anthropologie et d’histoire (INAH), le 1er novembre était consacré à la commémoration des martyres anonymes tandis que le jour suivant était dédié aux martyres sanctifiés par la religion chrétienne. Les fêtes païennes se sont donc mêlées à celles chrétiennes et petit à petit, Miccaihuitontli fut fêté le 1er novembre et Hueymiccalhuitl le jour suivant; les fleurs et les offrandes, véritables rescapées des âges, témoins des temps précolombiens
Cinq destinations et un festival pour célébrer comme il se doit.
El Día de Muertos est célébré dans l’ensemble du pays mais cinq régions se démarquent par leur manière singulière d’honorer leurs morts:
Lago de Pátzucaro dans l’état de Michoácan, où les célébrations sont parmi les plus vivaces. C’est au village de Jarácuaro, au temple San Pedro et à la Capilla de la Natividad que se tiennent les rites les plus spectaculaires. Offrandes, gastronomie et danses traditionnelles Huehue sont à l’honneur. À Tzintzuntzan, il est possible d’observer une démonstration de uarhucua, sport préhispanique impliquant un ballon enflammé.
Huaquechula dans l’état de Puebla, reconnue pour ses splendides autels dont le style ornemental est une fusion entre les traditions indigènes de la région et celles du Jeudi Saint, apportant aux autels une couleur à prédominance blanche. La procession, sur des chemins de fleurs, effectuée en l’honneur des défunts et annoncées par les cloches du temple le 1er novembre en début d’après-midi et se terminant à la tombée de la nuit, est également un spectacle à ne pas manquer.
Huasteca Potosina dans l’état de San Louis Potosi, où la fête des morts, Xantolo, est la plus importante de la région. Elle représente la réunion sacrée des vivants avec leurs aïeux, comme le chemin ineffable de la vie, et au cours de laquelle ont lieu des expositions, des offrandes et des danses (danza de la Malinche, danse Teenek), accompagnées de musique et de gastronomie traditionnelles Teenek.
Distrito Federal de Mexico, qui, pour l’occasion, est empli de couleurs depuis les jardins du Paseo de la Reforma jusqu’aux musées encombrés d’offrandes. Mais le Pueblo Mágico de Mixquic est assurément l’endroit où aller pour expérimenter la Fête des morts, particulièrement au cimetière de San Andres. Durant les 1er et 2 novembre, les tombes sont décorées de fleurs, de crânes en sucre et de quelques plats en l’honneur des âmes disparues. Un cortège funèbre est également mis en scène durant ces jours de célébrations, où il sera donné d’apprécier l’humour Mexicain!
Oaxaca dans l’état de Oaxaca. Splendide ville coloniale dont le centre se transforme en immense terrain de jeu pour qui veut descendre dans la rue fêter la mort. Les défilés, musiques, stands d’offrandes et crânes en sucre multicolores sont à l’honneur, emplissant les rues centrales et l’immense cimetière municipal d’un air de fête qui n’a pas son pareil!
Enfin, le festival de Calaveras qui se tient à Aguascalientes, capitale de l’état éponyme, est le théâtre de 10 jours de célébrations durant lesquels hommage est rendu à La Catrina, sur les terres natales de son créateur, José Guadalupe Posada. Durant ces dix jours se tiennent différents concerts, expositions et dégustations gastronomiques, mais Aguascalientes est surtout le lieu magique où défile la Grande Parade de Crânes!
Elsa Ramos-Gicquel
Roadtriiippp.com